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J'aurais aimé te dire

 

Blandine Bergeret

Jeune adulte, alors en terminale, j’aspirais à profiter en solitaire des soirées quand tes grands-parents étaient de sortie. Je les accompagnais de moins en moins. J’aimais rester seule, chez moi, chez nous. Calfeutrée entre quatre murs, savourant ma solitude. Vendredi, au sortir du travail, ils sont partis pour Demigny. Dans un cabanon, acheté quinze ans auparavant, en rase campagne, à une heure de Dijon. L’endroit était sans prétention. Sans eau courante. Ni électricité. Ils aimaient s’y ressourcer, loin de la civilisation. Petite, j’adorais m’y rendre. Pour moi, le lieu était synonyme de liberté et de convivialité. Des amis nous y rejoignaient, accompagnés de gamins de mon âge. Tandis que les adultes discutaient à bâtons rompus à refaire le monde, la table jonchée de bouteilles de vin de la région, nous batifolions dans les champs environnants. J’en garde des souvenirs joyeux, laissés à nous-mêmes entre parties de cache-cache et de chat perché. Le confort y était sommaire. L’espace réduit. Mais les dîners, composés de saucisses grillées et de chips, s’éternisaient au son des guitares. En été, les jeunes dormaient à la belle étoile. Serrés les uns contre les autres, nous racontant des histoires à dormir debout pour effrayer les plus petits. Régulièrement, nous y restions jusqu’au dimanche mais parfois, par envie de prolonger nos escapades, papa, maman et moi dormions sur place un soir de plus, en reprenant la route tôt le lundi matin pour me déposer à l’école, pile poil au retentissement de la cloche.

C’est la raison pour laquelle, ce jour-là, je ne m’étais pas inquiétée. Qu’ils profitent, j’en faisais autant de mon côté. Le lundi matin, une sonnerie stridente m’avait réveillée. Plus tôt qu’à l’accoutumée. À moitié endormie, j’avais stoppé l’alarme de mon réveil, enclenchée pour sept heures. Les yeux mi-clos, la petite aiguille positionnée sur le six m’avait sortie de ma torpeur. J’avais douté de moi. Venait-on de passer à l’heure d’été ? Comprenant enfin d’où provenait le son, je m’étais levée. À l’ouverture de la porte d’entrée, je m’étais attendue à tomber sur eux, rentrés en coup de vent avant d’aller travailler. Deux officiers de police m’avaient interrogée sur mon identité et demandé de confirmer que j’étais bien la fille de Monsieur et Madame Vincenot. À mon air groggy, ils m’avaient demandé s’ils pouvaient entrer. Je les avais laissés passer, en tirant sur mon tee-shirt, qui m’arrivait mi-cuisses. Ils m’avaient invitée à m’asseoir et, durant une minute, le regard las et désabusé, ils s’étaient tus.

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