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Christophe Fredaigue

Le rendez-vous manqué

Les automatismes du jeune garçon derrière le stem-christiania de son père sont vite revenus. Celui-ci skie bien. Il attaque les pentes sans appréhension. Il y a comme une élégance dans ses courbes, une légèreté étonnante chez un homme si raide. La médaille de chamois d’argent entourée de deux brins d’edelweiss séchés et encadrée dans la caravane n’est pas usurpée. Paul négocie encore ses virages en chasse-neige mais ils tendent à se resserrer.

— Regarde. Fais comme moi. 

La pédagogie du paternel est rudimentaire mais efficace après tout. Pourtant Paul aurait aimé être inscrit à un cours de l’École de Ski Français. Sûrement trop cher et trop d’horaires contraignants. Le jeune garçon observe ces longues guirlandes d’enfants ondoyantes derrière le moniteur habillé de rouge qu’on admire plus qu’on écoute. Surtout, lui, il s’arrête, se retourne, conseille et félicite.

Le père file et Paul suit. Jamais une remarque, une attention quelle qu’elle soit. Parfois, il tente de provoquer une considération. Il le laisse partir et le suit des yeux jusqu’à ce qu’il s’arrête en bas d’une pente. Celui-ci se redresse mais ne se retourne pas. Il observe le paysage, vérifie ses fixations, réajuste son bonnet mais ne se retourne pas. Il faut un certain temps pour qu’il se rende compte que Paul n’est pas à ses côtés. Alors, il lève la tête vers l’amont, et agite son bâton. Puis il revient à ses affaires. Paul sait qu’il n’est pas regardé. Qu’il resserre ses virages ou prenne de la vitesse, il n’est pas regardé. Attendu oui mais pas regardé. Comme une présence inhabitée. Même une critique sur ses fautes de carres l’aurait blessé mais lui aurait suffi.

L’ambivalence de la situation bringuebale son humeur. Le plaisir d’être là et le manque d’estime alternent en lui. Des piquets de slalom autour desquels il devra louvoyer pour se dessiner une trajectoire.

À leur retour, sa mère les accueille avec le sourire. Rassurée. Elle a eu Patrick à la cabine téléphonique. Patrick ! Son grand frère ! Paul avait presque oublié son frère de dix ans son ainé. Il ne vient plus en vacances avec la famille. La caravane n’est plus à sa taille. Surtout, il est jeune majeur. Héritier de mai 68, il l’affiche clairement. Pattes d’éléphant, cheveux longs, sandales et patchouli ; pour le contre et anti tout. C’est tendu avec le père qui aime les choses au carré, que les points soient sur les i. Sa mère bricole la relation entre les deux. Elle est ingénieuse pour arranger la réalité et éviter les accrochages.

une gêne inavouée.

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