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À Contrecœur

 

Claude RENAUD

Deux jours après mon arrivée, je fus invité à une soirée. Une réunion bruyante et nombreuse dans l’appartement d’une secrétaire de l’ambassade d’Australie, à proximité du centre-ville et selon un rite propre à la communauté anglophone que je ne tardais pas à découvrir : cinquante ou soixante personnes entassées dans une pièce pouvant normalement en contenir la moitié, l’air conditionné à fond de même que la musique d’un tourne-disque. Des serveurs vietnamiens en tenue blanche parvenaient à se frayer un passage dans cette foule avec leurs plateaux sans rien renverser. On m’avait dit tenue décontractée, mais je ne voulais pas prendre de risque – une réception d’ambassade, cela en impose – aussi avais-je mis un costume malgré la chaleur. J’avais vite tombé la veste, mais c’était insuffisant et je fus rapidement en sueur. Après une heure à m’égosiller pour tenter de me faire entendre, je fus gagné par un mal de tête et m’enfuis sur le balcon à la recherche d’un peu de calme et de fraîcheur, poursuivi par les sonorités d’Herb Alpert et ses Tijuana Brass. Je me demandai comment les voisins pouvaient supporter ce vacarme.

J’étais là depuis quelques minutes, tentant de reprendre mes esprits, lorsqu’une femme, une Européenne, apparut sur le balcon, vraisemblablement pour les mêmes raisons. Pendant un moment nous restâmes silencieux, profitant du calme relatif sans parler. Puis je sortis mon paquet de cigarettes chiffonné et lui en offris une. À cette époque presque tout le monde fumait et c’était une façon assez convenue d’entamer une conversation avec une jolie femme sur un balcon. La flamme de l’allumette me dévoila une boucle blonde, une joue lisse et joliment dessinée, le bleu profond des yeux qui me fixèrent un instant avant que la flamme ne s’éteigne.

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